About VadimVadim Mikkelsen est déjà adolescent lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate et que les premières troupes allemandes décident de briser le pacte de non-agression du Danemark et y commencent leur occupation. Le gouvernement danois se protège comme il peut, ne riposte pas, mais n’empêche pas non plus ses citoyens de rejoindre les forces armées étrangères – quelles qu’elles soient. Grand blond au physique svelte et aux compétences nombreuses, il est de notoriété publique au sein de la communauté sorcière de Copenhague que l’aîné Mikkelsen est poussé par son père afin de le surpasser un jour. La rumeur court qu’il aurait décroché un stage au département des mystères l’été dernier et qu’il aurait même créé un groupe de résistance sorcier au sein même de Copenhague. Il faut dire que Vadim est une tête brûlée en quête d’adrénaline. Il est aussi brillant que téméraire et prend un malin plaisir à faire tourner en bourrique le peloton allemand s’occupant de son quartier. Avec une bande de copains de l’Institut Magique du Danemark, il arpente les rues de la banlieue de Copenhague et sabote voitures, armes, quartiers généraux. La rumeur court qu’une bande d’officiers se serait plainte à Hitler en personne des conditions déplorables dans lesquelles ils étaient gardés, mentionnant même dans leur missive que leur logis semblait hanté.
Ils étaient invincibles. Du moins, c’était ce qu’ils pensaient.
« Hé, le sourcier ! Debout ! Plus vite que ça ! » Vadim ne parle pas allemand mais n’a pas le moindre mal à comprendre ce qu’on lui veut. Engourdi de douleur, il ouvre un œil – l’autre est trop gonflé pour en faire quoi que ce soit. L’homme le tire par les cheveux et le force à se relever. Il a passé la nuit au cachot, entre les rats et la pisse. La veille, il avait été pris la main dans le sac par une bande d’officiers allemands qui les avaient dépouillés de tout – vêtements, lunettes, et même leur baguette dont ils s’étaient évidemment bien moqués dans des rires gras. Ils avaient été torturés, un par un, dans l’espoir d’obtenir des renseignements sur d’autres membres de leur organisation. « Rhabille-toi. », lance l’homme en lui jetant ce qu’il lui avait dérobé la veille. Vadim est pris d’un espoir. Il va retrouver sa baguette et se sortir de là.
Sauf que…
Sauf que non. Sa baguette est brisée en trois morceaux, inutilisable. Celles de ses camarades, dont il ignore la position, le sont forcément aussi. Il s’habille tant bien que mal, piètre consolation. Il sait ce qui est en train de lui arriver. Il se sent bête. C’était drôle le temps que ça a duré.
C’est terrifié et frigorifié qu’en ce matin d’octobre 1943, deux semaines après avoir fêté ses dix-huit ans, Vadim Mikkelsen se dirigeait vers le peloton d’exécution. Quatre sorciers sont morts ce matin-là, exécutés à la moldue, pour avoir voulu jouer avec le feu. C’est aussi de cette même manière qu’Anja Mikkelsen, ne voyant pas son fils revenir, décida de s’accrocher pour le restant de ses jours à l’idée qu’il refasse surface à tout moment, sans jamais faire son deuil. Que Lars Mikkelsen perdît son unique fils et décida de quitter le Danemark.
Et que Sören Mikkelsen, à peine âgé de cinq ans, découvrit les conditions dans lesquelles il allait vivre pour les dix-huit prochaines années.
xxx
About infidelitySi je vous ai présenté le frère prodige parti un matin pour ne jamais revenir, je vous ai à peine parlé d’Anja Mikkelsen, née Hendersen aux aurores d’un siècle qui se passera sous le signe des guerres et de la fin d’une révolution industrielle qui marquera l’immigration de plusieurs milliers de danois vers les Etats-Unis. En 1943, la grande blonde aux allures de mannequin malgré deux grossesses a quarante ans tous ronds, deux fils dont un qu’elle ne sait pas encore mort – et qu’elle espérera toute sa vie revoir vivant – et un mari qui ne l’a plus touchée depuis des lustres mais qui se gêne à peine pour toucher toutes les autres minettes qui lui passent sous la main.
Tout commençait pourtant sous les meilleurs auspices. Rencontré à l’Institut de Magie danois, Lars Mikkelsen était au début un mari aimant et prometteur. Anja l’a épousé dès leur sortie, en 1918. L’homme était adorable, téméraire mais ambitieux, brillant, et une carrière impressionnante l’attendait au Ministère de la Magie. Ils eurent leur premier enfant en 1924, l’enfant tant attendu, si difficile à concevoir après des années de fausses couches et de souffrances. Autant vous dire que Vadim Mikkelsen était le fils prodige qu’on n’osait plus attendre. Le futur successeur de son père. Le trésor de sa mère. Et tout aurait pu continuer comme ça avait commencé. Ils auraient pu être heureux.
C’était sans compter sur Lars, coureur de jupons, lassé de sa femme après dix ans d’un mariage qui semblait parfait aux yeux du monde. Oh, Mikkelsen savait y faire, pour mettre de la poudre aux yeux des gens ! Il ne manquait jamais d’afficher sa « petite famille » en public. Offrait à Anja des robes hors de prix. Sortait dans les plus onéreux restaurants du monde sorcier. Ne manquait de lui faire des sourires et de lui tenir la main dans les soirées d’affaires. Et Anja acceptait. Femme au foyer s’occupant presque seule de leur petit bout, elle n’aurait jamais osé se rebeller. Elle s’était toujours complu de la vie de luxe et n’avait finalement pas envie d’aller travailler à son tour. Alors, elle fermait les yeux sur les multiples infidélités de son mari, acceptait de ne plus être touchée que par elle-même, et jouait le jeu de la famille parfaite en public. Et Lars continuait de monter les échelons, à présent muté à la coopération magique internationale. Lars, aimé et apprécié de tous. L’illusion était parfaite. Totale. Jusqu’à…
1937. L’année où Anja découvrit avec terreur qu’elle était à nouveau enceinte. Et qu’il n’était pas de Lars. Oh, elle aurait pu lui cacher la vérité, s’il l’avait ne serait-ce que touchée dans les mois qui avaient précédé. Ce n’était pas le cas. Il ne la regardait même plus dans le cercle privé, en toute honnêteté. La blonde avait simplement cherché le réconfort et l’avait trouvé au détour du chemin de Traverse, dans une librairie. Ils avaient entretenu une relation épistolaire. S’étaient retrouvés quelques fois. Et maintenant, elle attendait son enfant. Stupeur. Terreur.
Il allait bien falloir lui annoncer. Et couper les ponts avec son amant.
xxx
About that guy we usually call « father »Je vous ai déjà parlé de Lars Mikkelsen. Ce que je n’ai pas encore abordé, c’est sa relation avec son second fils. Ou plutôt, avec son bâtard – ce sont ses propres mots. Bien obligé d’accepter cet enfant comme le sien afin de garder sa façade de famille parfaite aux yeux du monde, l’arrivée de Sören n’enchanta pour ainsi dire pas du tout l’homme d’affaires. L’annonce de la grossesse d’Anja lui valut cependant de finir ses jours, sinon divorcée, au moins seule – et c’était bien pire. Quelques mois après la naissance de Sören, Lars accepta un poste qui l’emmènerait loin, très loin de sa famille. C’est de cette manière qu’il devint ambassadeur du ministère de la magie danois au Royaume-Uni et laissa Anja, Vadim et le petit dernier à Copenhague.
Sa relation avec Sören fut basée sur l’indifférence. Grâce au transplanage, Lars rentrait souvent au pays afin de voir son premier fils, le prodige destiné à suivre ses traces, et après son décès, il ne rentrait plus que pour faire bonne figure et sortir femme et « bâtard » sur la place publique. Serrer des mains et faire des photos était sa plus grande passion, et Sören ne compte pas les coupures de journaux sur lesquelles ils apparaissent tous les deux, l’air complice. Plus le blond vieillissait et comprenait ce qui lui arrivait, moins il semblait coopérer, plus son visage sur les photographies se faisait neutre voire ennuyé.
Lars n’attendit jamais rien de celui qu’il avait reconnu comme étant son fils pour éviter les polémiques. Ni bien, ni mal. Il ne s’étonnait jamais des bêtises et des échecs, ne félicitait pas pour autant les réussites de Sören. Et Sören le détestait profondément. Par respect pour sa mère, il n’en disait rien – il savait qu’elle n’aurait pas supporté que Lars lui coupe les vivre -, mais il le haïssait.
Et il grandit en apprenant à utiliser cette haine pour servir ses intentions.
xxx
About LondonAvec le temps, Sören avait travaillé dur afin d’outrepasser un jour son père, plus proche du vieillard que de l’homme à présent mais qui semblait n’avoir aucune envie ni de prendre sa retraite, ni de simplement claquer. Quant à Sören, il gravissait les échelons et semblait bien parti pour prendre sa suite – au grand désespoir de Lars. Depuis deux ans maintenant, il dirigeait le département de coopération magique internationale au Ministère de la Magie danois et à trente-neuf ans, il ne restait plus qu’un échelon à gravir. Oh, il aurait pu viser le poste de Ministre de la Magie, mais Sören n’en voulait pas. Ce qu’il voulait, c’était humilier Lars.
Il avait réfléchi longtemps aux différentes manières de se débarrasser de Lars. Au début, l’idée de le rendre hors service avait germé. Il voulait que son père le voie prendre sa place et apprécier chaque grimace comme une victoire personnelle. Cependant, les risques qu’il parle un jour étaient bien trop élevés. Alors, Sören réfléchit à un moyen de liquider Lars à distance, sans que qui que ce soit ne puisse se douter de la supercherie. Et il trouva.
Le corps de Lars fut rapatrié à Copenhague et Sören se rendit à l’enterrement en bon fils prodige. Il serra des mains, pleura un peu sur quelques épaules, reçut les sympathies de quelques subordonnés de feu son père ayant fait le déplacement. Bref, il fit ce qu’on attendait de lui. Comme Lars avant lui, Sören maîtrisait l’art d’être un patron aimant, un homme agréable, mais de ne pas en penser une mornille. Mais il savoura chaque moment de sa vie tandis qu’il était à présent libéré de l’emprise de son « père ».
Le temps ne fut pas long avant qu’on le consulte sur la possibilité qu’il remplace Lars à Londres. Comme tous les prétendants, il rendit un dossier en béton – il n’aurait tout de même pas fallu qu’on pense que cet imbécile l’avait pistonné de son vivant. De quatre candidats, il fut retenu.
3 janvier 1978. Sören transplane vers l’ambassade du Danemark à Londres, prêt à prendre son poste. Il a tout ce qu’il a toujours voulu. Tout… ou presque. Un homme comme lui n’en a jamais assez.